Somosierra

Le 29 novembre 1808, Napoléon arrive à Aranda, franchit le Douro avec la Garde, le corps de Victor et la réserve de cavalerie. A midi, il est à Boceguillas et y installe son quartier-général. Il prend quelques instants de repos, puis monte à cheval et va reconnaitre le défilé. Des renseignements précis lui arrivent : le passage est occupé. 

Forces espagnoles : En effet, 13 000 Espagnols réunis sous les ordres  de Don BenitoSan Juan, sont ici pour couvrir la capitale. Une avant-garde de 3 000 hommes est à Sepulveda; tout le reste est au col de Somosierra. L’infanterie, en échelons est retranchée et étagée sur des deux flancs, le gros est au col. L’artillerie est établie sur la route elle-même, en position, sur des terrasses consécutives. Quatre batteries de quatre pièces protégées par des parapets et des embrasures balayent tout le défilé, sur une profondeur de 2 500 mètres.

Le terrain : Une seule route étroite et sinueuse est utilisable; elle s’élève vers la chapelle, à près de 1 500 mètres d’altitude. Pour ouvrir ce passage, Napoléon dispose d’une partie du corps de Victor (divisions Vilatte, Ruffin et Lapisse), de la cavalerie de la Garde, et de la division de la cavalerie de Latour-Maubourg.

La décision de l’Empereur : c’est en s’élevant sur les flancs qu’il fera tomber cette position. Il rentre à Boceguillas, donne ses ordres pour le lendemain. La division Lapisse s’emparera de Sepulveda, la division Ruffin de tout le versant nord de la Guadarrama jusqu’au col, le 9e léger opèrera à droite, le 24e à gauche, le 96e sur la route, avec six pieces d’artillerie en soutien.

L’exécution du plan : le 30 au matin, Sepulveda attaquée est abandonnée aussitôt par ses défenseurs qui se replient sur Segovie. A 9 heures, dans le brouillard, Victor entame l’attaque. Au centre, le 96e progresse normalement jusqu’au pont, mais à droite et à gauche, l’avance des deux régiments est ralentie par le manque de visibilité. Victor fait amener deux pièces. Vers 11 heures, Napoléon arrive avec la cavalerie de la Garde, les chevau-légers en tête. Ce jour-là, le 3e escadron de ce régiment, sous les ordres du capitaine Kozietulski, est au service auprès de l’Empereur; ce détail est très important. Les autres régiments de cavalerie se forment en colonne de pelotons, derrière un pli du terrain, à droite de la route. Le brouillard se lève, Napoléon, nerveux, se porte vers le pont, suivi du 3e escadron et de deux pelotons de chasseurs à cheval de la Garde. La lunette à la main, et malgré les balles qui sifflent autour de l’état-major, il observe la situation. Devant lui les fantassins de Victor, gênés par les tirs espagnols piétinent.

Puisque l’infanterie est impuissante c’est la cavalerie qui devra emporter la position, et sans attendre, il donne un ordre :  « Enlevez-moi cela ». L’ordre tombe, sec, sans appel; l’escadron qui suit est celui de service, ce sont les chevau-légers du 3e escadron. Le colonel Piré, alors aide de camp de Berthier, fait avancer son cheval avec l’escadron pour reconnaitre sommairement la position. Il va vers l’Empereur et lui dit que la position ne peut être prise de face : « Impossible Sire! ». A ce mot Napoléon bondit : « impossible, impossible, je ne connais pas ce mot là. Quoi? Ma Garde arrêtée devant des Espagnols, devant des bandes de paysans armés! » Napoléon se tourne alors vers Ségur et lui dit : « Partez Ségur! Allez, prenez les Polonais, faites-les tous prendre et ramenez-moi des prisonniers! ». Ségur part au galop sur le champ et transmet à Kozietulski l’ordre de charger sur-le-champ et à fond. Kozietulski commande par quatre, au trot et s’élance, à l‘assaut de la position; le 3e escadron est formé des compagnies du capitaine Pierre Krasinski et Dziewanowski. Signalons tout de suite que le général Montbrun, bien que présent à Somosierra, n’a pas conduit la charge, quoiqu’en dise le 13e bulletin de l’Armée d’Espagne. Les polonais s’élancent, traversent un fossé, franchissent un torrent. Au premier tournant une première batterie fait feu; Kozietulski blessé passe le commandement à Dziewanowski. Le groupe est l’objet de tous les feux des Espagnols; le lieutenant Krzyzanowski tombe vers la deuxième batterie, le capitaine Dziewanowski devant la troisième. L’effet moral de cette charge grandiose est tel que les Espagnols commencent à abandonner leurs positions. Quand l’héroïque poignée de cavaliers arrive au sommet, ils voient toute l’armée espagnole en déroute, ayant abandonné son artillerie et ses bagages. Le lieutenant Niegolewski – suivi du maréchal-des-logis Sokolowski qui sera tué -, arrive à la quatrième batterie, où il reçoit deux coups de feu et neuf coups de baïonnette de quelques canonniers restés vers leurs pièces; des voltigeurs le tirèrent de dessous son cheval tué, le portèrent à demi-mort près des canons et le couvrirent de son manteau; Bessieres s’approcha de lui et lui dit : « Jeune homme, l’empereur a vu votre belle charge et saura reconnaitre votre bravoure. » – « Prince, je meurs, et voici les canons que j’ai pris ». Les trois autres escadrons polonais qui suivent assurent la poursuite, suivis des voltigeurs de l’infanterie qui arrivent à leur tour en disant : « Allons! Cela ira bien camarades! ».

Le résultat : Sept minutes avaient suffi pour ouvrir la route de Madrid! Cinquante-sept Polonais, sur cent-cinquante, étaient tués ou blessés; les Espagnols nous abandonnaient dix drapeaux – dont un pris par le maréchal-des-logis Cichoeski -. Seize canons, trente caissons, deux cents chariots et tous les colonels de la division … Le colonel San Juan, qui continuait à combattre fut attaché à un arbre et massacré par ses propres hommes. Arrivé au sommet du col, Napoleon se porte vers Niegolewski blessé près des canons, détache sa croix et la remet au blessé. Celui-ci écrira quarante-sept ans plus tard : « Puissent beaucoup de jeunes gens avoir un pareil jour de fête ». L’Empereur fit mettre en bière, deux par deux, les corps de ceux qui avaient péri et leur enterrement eut lieu en grande pompe.

Le lendemain matin à Buytrago, Napoléon passe en revue le régiment sur un tapis de neige; l’Empereur remet huit Légions d’Honneur aux officiers et huit pour les sous-officiers et la troupe. Napoleon, se découvrant devant les survivants de la charge leur dit : « Vous êtes dignes de ma Vieille Garde, je vous reconnais pour ma plus brave cavalerie ».

Les chevau-légers venaient d’entrer dans la Garde, mais encore plus dans la Légende napoléonienne …

Le 2 décembre, devant Madrid, ils saluaient Napoléon aux cris de « Vivat Caesaez ».

(Extrait de « Les Campagnes Napoléoniennes » A. Pigeard, 1998)